La douleur en kinésithérapie : entretien avec Laurent Rousseau

 

Pourquoi a-t-on mal ?

La douleur est une sensation désagréable, perçue à un endroit du corps qui incite à protéger cet endroit (Moseley 2003). L’analyse faite par le cerveau des différentes informations qu’il reçoit, doit en conclure que le corps est en danger pour faire ressentir une douleur.

 

Pour quel type de douleur les séances de kinésithérapie sont-elles prescrites par le médecin ?

Les séances de kinésithérapie sont principalement prescrites dans le cadre de problèmes en lien avec l’appareil locomoteur. La douleur ressentie à cette occasion est l’élément le plus saillant. On fera la différence entre une douleur aiguë, qui signe principalement un excès de nociception suite à une lésion reconnue et facilement identifiable, d’une douleur chronique, mieux qualifiée de persistante, où dans ce cas, la douleur est elle-même le problème. Il y a en Europe plus de 20% de la population qui souffre de douleurs persistantes. Les Mk sont compétents pour prendre en charge ces deux types de douleur.

 

Je suis patient, comment puis-je décrire ma douleur ?

La douleur est une sensation individuelle et sa description est personnelle, ce qui rend sa description difficile à décrypter. Cependant le vocabulaire et le langage non verbal employé par la personne douloureuse, proposent des pistes pour orienter la compréhension du phénomène douloureux.

On retrouvera classiquement des brûlures des picotements ou des fourmillements dans des douleurs neuropathiques, des douleurs diffuses et mal déterminées chez les patients atteints de sensibilisation centrale ou des douleurs mieux décrites plus précises et reproductibles facilement en cas de douleurs à dominante nociceptive.

 

Les douleurs fantômes, qu’est-ce que le kiné y peut ?

Les douleurs fantômes sont des douleurs neuropathiques, et de nombreuses expériences ont montré la pertinence de l’utilisation de la thérapie miroir pour faire diminuer ces douleurs.

En restituant une cohérence visio-motrice grâce à l’utilisation du miroir, l’analyse faite par le cerveau ne conclut plus qu’il y a danger et diminue la douleur.

Le kinésithérapeute peut bien entendu utiliser avec son patient cette technique, en faisant au préalable une éducation aux neurosciences de la douleur, étape fortement conseillée, pour que le patient comprenne la pertinence de la technique, et s’engage dans son traitement. Etre acteur de son traitement est indispensable dans la gestion de la douleur chronique.

 

Les échelles de douleur – EVA, EVN, EVS : quelle différence ?

L’évaluation est une chose complexe qui ne se limite pas à donner une cotation à une douleur. Les différences sont principalement en lien avec la capacité de la personne évaluée, à se reconnaitre dans les différentes façons de jauger le ressenti douloureux. Les uns préfèreront des chiffres (EVN), d’autres déplaceront le curseur du moins vers le plus (EVA), d’autres encore se sentirons plus à l’aise en s’exprimant (EVS). L’intérêt réside dans la capacité du patient à juger de l’impact de sa douleur dans sa vie et ainsi on retrouvera chez certaines personnes ayant donné un chiffre élevé (8/10 par exemple), une attitude semblant extérieurement moins préoccupante, qu’un patient ayant côté sa douleur à 4/10.

La caractéristique principale de la douleur étant la subjectivité, il est important que chaque patient soit évalué avec l’outil le plus approprié, et surtout que le kinésithérapeute en fasse une interprétation la plus fine et la plus individualisée possible.

 

Quelles sont d’autres échelles ou tests que vous recommandez aux kinésithérapeutes pour évaluer la douleur ?

L’évaluation est de deux ordres. Soit on recherche à faire exprimer au patient son ressenti en terme d’intensité ou de qualité de la douleur, soit on recherche ce que la douleur induit. Dans ce cas on cherchera à évaluer le retentissement de la douleur au travers de questionnaires fonctionnels visant à renseigner sur la qualité de vie (Dallas, EIFEL).

On pourra également, et ceci dans le cadre de la compréhension du patient et de ses comportements, rechercher ses croyances (FABQ) ou son degré de catastrophisation (PCS).

La douleur étant complexe, cette liste ne peut être exhaustive, mais l’individualisation de la prise en charge reste le critère le plus pertinent.

 

Quel type d’information fournit l’évaluation de la douleur au kinésithérapeute ? Qu’est-ce qu’il en tire, qu’est-ce qu’il en fait ?

Le recueil d’information reste la première étape de l’évaluation de la douleur. Le kinésithérapeute devra par sa rigueur obtenir les informations les plus pertinentes pour mener à bien la prise en charge de son patient. Il devra avec son patient retracer l’histoire à la fois de la maladie (douleur chronique) et le contexte dans lequel elle est apparue et se maintient. À la lumière de ces informations, il devra avec son patient co-construire une prise en charge basée sur la compréhension des phénomènes douloureux (éducation), et bien sûr trouver les pistes de traitement que le patient devra s’approprier et mettre en place avec l’accompagnement attentif et ciblé de son thérapeute.

 

Comment évaluer la douleur chez les patients qui ne peuvent pas s’exprimer ? Ou comment expriment-elles la douleur ? (personne handicapée, paralysée, bébé…)

La communication non verbale nous donne beaucoup plus d’informations que la verbale. Observer, stimuler, tester, écouter avec ses mains et son ressenti sont des qualités inhérentes à la pratique de la kinésithérapie. Nos collègues mal voyants ont développé ce sens de la communication et nous montrent la voie. La profession dans son ensemble entretien et fait fructifier ces ressentis propres au développement de l’alliance thérapeutique, valeur essentielle dans la prise en charge de la douleur.

 

Qu’aimeriez-vous ajouter pour cette Journée mondiale contre la douleur ?

La douleur est par essence un phénomène transversal, ou tous les intervenants médicaux et médico sociaux devraient poursuivre le même axe. La prise en charge de la douleur est complexe et impose la mutualisation des expertises, celle du patient comprise, autour et en fonction du projet personnel du patient.

 

Laurent Rousseau

laurent-rousseau-photoMasseur-kinésithérapeute depuis 1988, secrétaire général chargé de la prévention à la FFMKR, membre du GI douleur. Il a ouvert en 2005 une école du dos de kinésithérapeute type Mail 14, et ses formations successives l’orientent vers les problèmes de dos et leurs prise en charge actives. Depuis juin 2013, il dispense une formation sur la douleur (au Cevak, au CEKCB et à l’INK).

 

 

Pour approfondir sur la douleur, Laurent Rousseau vous recommande :
Les tests d’évaluation de la douleur dans Medicapp Bilans

Vous pouvez trouver les tests pour évaluer la douleur également dans l’application Medicapp Bilans. Allez dans Tests -> Thème -> Douleur. Retrouvez y par exemple :
L’échelle DN4 (Douleurs Neuropathiques en 4 questions)
Echelle visuelle numérique (EVN)
Echelle visuelle simplifiée (EVS)
Questionnaire douleur Saint-Antoine (QDSA)
Echelle d’Incapacité Fonctionnelle pour l’Evaluation des Lombalgies (EIFEL)

Medicapp Bilans est disponible pour téléchargement sur Android (smartphone, tablette) ou iPad.

 

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